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Œuvre individuelle pour Groupe Laura

2002-La Petite Guerre

Parc Saint Léger
Centre d'art contemporain


Historique

Longtemps d'abord nos vêtements furent des loques, lambeaux de toile exsangues accrochés à nos chairs meurtries par le froid. Longtemps ensuite les divisions éparses de l'armée fantomatique que nous constituions n'eurent aucun étendard sous lequel se rallier les vivants. Mais maintenant nous le savons nos combats ne sont plus vains, il nous suffit d'un peu de fil et d'une bonne aiguille pour qu'enfin nous puissions d'un seul et même mouvement, salvateur et sibyllin, porter haut le concept au revers de nos vestes désormais rapiécées...

Jérôme Duvigneau.

La lecture des ouvrages philosophiques classiques et modernes modifia considérablement la vision du monde de Goupe Laura. Le vocabulaire de la philosophie permet d'appréhender différemment notre action sur le monde. C'est une question de regard. Chaque discipline se conformant à un vocabulaire spécifique influera sur le regard de l'individu qui la cultive. Autant le langage mathématique que les langues étrangères, l'épreuve de la philosophie transforme considérablement la vision d'un individu qui s'y confronte. Passer du langage commun ou bien encore du langage maternel à un autre langage confère un relatif pouvoir d'action. Du moins, l'acquisition d'un autre langage libère l'individu, il le sépare du marasme et de l'angoisse unitaire du langage commun. Avec la première rupture du sujet (le stade du miroir lacanien), l'on pourrait considérer l'acquisition d'un ou de plusieurs langages comme autant de ruptures nécessaires à l'équilibre du sujet. Groupe Laura revendique ces ruptures comme autant de progression venant non pas briser la continuité d'une pensée (de plasticiens) mais en tant qu'un agglomérat de lignes de fuite. Considérant le corps comme le fil conducteur et indestructible de la pensée (plastique), Groupe Laura n'a donc aucune raison de s'inscrire dans une pratique artistique de type obsessionnel. Ce point de vue est important car il se distingue radicalement des pratiques aliénantes dans lesquelles la société occidentale s'inscrit pleinement. La plupart des artistes occidentaux, par le biais d'un geste mécanique, répétitif et progressif -- geste qui au demeurant se nomme autant sujet (à creuser) que pratique (du même), sont ni plus ni moins des ouvriers aux services des cultures dominantes. Groupe Laura refuse catégoriquement la structure mentale des âmes serviles. Groupe Laura part en guerre afin que les notions de transversalités se développent concrètement et de façon les plus anarchiques. Groupe Laura est organisé et aucunement hiérarchisé. Si hiérarchie il y a, elle se trouve dans l'exécution d'une œuvre à réaliser et non dans la simple jouissance d'un pouvoir de faire. Pour Groupe Laura, il ne s'agit pas de " savoir faire de l'art ", il s'agit de " l'art du savoir faire ". L'art est au second plan, les savoirs faire sont des prétextes pour élaborer d'autres questions et saisir d'autres pratiques. Il n'y a donc pas de sujet ni de pratique prédéterminé, il y a des mixtes entre différentes disciplines qui génèrent par eux-mêmes leurs propres questions. Bref, la cohérence historique d'une œuvre ne tient pas à son caractère obsessionnel, mécanique ou répétitif. Groupe Laura laisse les formes obsessionnelles de l'art à l'usage des petits commerçants. La cohérence d'une œuvre tient à la rupture qu'à un moment donné le corps aura voulu dé-montrer. Sur cette dernière, nous avons pris la décision de réaliser le projet " La Petite Guerre ". Comparable à " La Petite Mort ", ce projet présente quatre concepts qui, à nos yeux, sont pleinement actifs au sein de la pensée plastique contemporaine :

1 - Aufhebung (conserver/supprimer) de G.W.F. hegel ;

2 - Wille zur macht (La volonté de puissance) de Friedrich nietzsche ;

3 - Enten Eller (Ou bien... ou bien) de Soren Kierkegaard.

4 - Das Unheimlich (L'inquiétante étrangeté) de Sigmund Freud.

Description

Produire une série (100) de quatre écussons sur lesquels sera cousus les phrases suivantes : 1 - AUFHEBUNG ; 2 - WILLE ZUR MACHT ; 3 - UNHEIMLICH ; 4 - ENTEN ELLER. Les écussons seront vendus séparément un sous la forme de lot.


Supplément

KAFKA -- K.

En 1999, une première épreuve fut réalisée à titre expérimental à l'occasion de l'« Exposition dans la Manche Rouge » réalisée par Lili Reynaud. L'œuvre était glissée dans une poche en plastique transparent cousue sur un blouson rouge. Cette œuvre représentait l'initiale K., héro du livre « Le Château » ou « Le procés » de Franz Kafka. K. est également la première l'initiale de Kafka. La relation entre K. et Kafka est évidente. La fiction est-elle le meilleur moyen pour relater la réalité ? Une opposition, un combat sans commune mesure se cristallise entre la conscience claire de K. et les dérives du réél.

La tension que génèrent les concepts présents dans la série des écussons intitulés « La Petite Guerre » est équivalente à celle de K. Cette série regroupe quatre concepts philosophiques dont « K. » en hommage à Lili Reynaud : 1 - AUFHEBUNG (G.W.F. hegel) ; 2 - WILLE ZUR MACHT (F. nietzsche) ; 3 - UNHEIMLICH (S. Freud) ; 4 - ENTEN ELLER (S. Kierkegaard).

Définition de Jérôme Duvign

hegel -- Aufhebung.

La traduction française " conserver supprimer " donne à entendre le double sens du mot Aufhebung mais d'un usage peu commode on lui préfère généralement le néologisme " sursumer ".

Ce terme désigne l'opération majeure de la dialectique, chaque détermination abstraite du Tout se supprimant en passant dans une détermination supérieure plus concrète, où elle est conservée à titre de moment. hegel insiste sur le caractère dual de ce mot, à la fois conserver et mettre un terme, car il y voit la trace langagière du spéculatif. L'Aufhebung est en effet ce par quoi se réalise l'unification progressive des opposés, l'immédiat sursumé perd son immédiateté et devient un autre, mais sans disparaître car il accède par là à sa plus proche vérité.



nietzsche -- Wille zur Macht.

La volonté de puissance s'oppose à la définition de la vie donnée par ceux que nietzsche appelle, au début de La Généalogie de la Morale, les " psychologues anglais ", et plus particulièrement Spencer ; mais aussi et surtout s'oppose-t-elle à l'interprétation pessimiste du vouloir-vivre, aveugle et impuissant, de Schopenhauer. La lutte, expression de la rivalité et de la hiérarchisation des instincts, est le principe même de la vie, de son accroissement, ce dans quoi la volonté de puissance apparaît comme créatrice, donnant forme à la matière brute de la vie, la fécondant. La puissance n'est pas ce que veut la volonté mais ce qui veut dans la volonté. La volonté de puissance est donc conjonction en acte de la compétition et de la création, rapports de forces dans lesquels la supériorité et la domination s'expriment non pas d'abord comme pouvoir, ou négation, mais comme puissance de créativité, c'est-à-dire comme affirmation.

C'est le nihilisme qui nous fait connaître la volonté de puissance, mais inversement celle-ci nous apprend qu'elle nous est connue sous une seule forme, sous la forme du négatif qui n'en constitue qu'une face, qu'une qualité. Nous pensons la volonté de puissance sous une forme distincte de celle où nous la connaissons. Cette autre face de la volonté de puissance est par essence inconnue, cette autre qualité inconnue est l'affirmation. La volonté de puissance peut donc se distribuer comme volonté de néant, et nous sommes alors en plein nihilisme, ou comme volonté de vivre. Elle est alors confrontée à l'essence de l'être comme devenir, c'est-à-dire l'éternel retour.


KIERKEGAARD -- Enten Eller.

Kierkegaard concentre les arguments sceptiques dans une petite conférence intitulée « Ou bien... ou bien ». La particule « ou » marque l'alternative. Elle a éventuellement un usage conjonctif, mais quand on l'appuie par « bien » elle est disjonctive.

Qu'il s'agisse par exemple de mariage, de rire des folies du monde, de se fier à une jeune fille, de se pendre, il y aura toujours à regretter de le faire et de ne pas le faire. Deux conceptions de la vie tout à fait antithétiques : une conception esthétique et une conception éthique entre lesquelles on ne peut que choisir, d'où le titre adopté : Enten eller, c'est-à-dire « Ou bien... ou bien », l'alternative. Mais ici on ne peut postuler la concentricité des sphères esthétiques et éthiques sans pouvoir exclure radicalement la possibilité que des exceptions aient à se réaliser en dehors du général ni même qu'un choix hasardeux n'entraîne bientôt à devoir se repentir. Ou bien la romantique mélancolie de l'esthéticien qu'angoisse trop l'indétermination des possibles au delà du quoi nous soupçonnons son mal être ; ou bien la décision d'être avec tout ce qu'elle comporte de risques. Mais que ce soit l'esthéticien ou l'éthicien, ils n'en sont pas moins renvoyés à « la pensée que devant Dieu nous avons toujours tort ».


FREUD -- Unheimlich.

L'adjectif substantivé Unheimlich, utilisé par Freud dans un article de 1919, signifie à la fois inquiétant, familier et non familier. La traduction la plus communément retenue est " inquiétante étrangeté " qui a fini par s'imposer comme un syntagme freudien en langue française.

Dans ce texte de 1919, Freud appelle Unheimlich une impression effrayante qui " se rattache aux choses connues depuis longtemps et de tout temps familières ". Cette impression d'étrangeté surgit dans la vie quotidienne et dans la création esthétique quand des complexes infantiles refoulés sont brutalement réveillés. Elle se déploie alors en plusieurs thèmes angoissants comme la peur de la castration, la figure du double et le mouvement de l'automate. Ces trois modalités de l'étrange ont pour trait commun de réactiver des forces primitives que la civilisation pensait avoirs oubliés et que l'individu croyait avoir surmontés.

J. Lacan, s'appuyant sur l'Unheimlich, montre que l'angoisse surgit quand le sujet est confronté à un " manque du manque ", c'est-à-dire à une altérité toute puissante qui l'envahit au point de détruire en lui toute faculté de désir.



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