Présentation     Artistes & Collectifs     événements & Expositions     Pédagogie & Communication     Boutique     Liens  
Frank Lamy index

Variété


LOW – HEROES – LODGER…

variété n. f. XIIe; lat. varietas
1/ Vx Variation, changement.
2/ Caractère d'un ensemble formé d'éléments variés; différences qui existent entre ces éléments.— diversité. Aimer la variété. — changement. Cela manque de variété : c'est monotone. – Qualité d’une création artistique qui donne une impression de changement, de renouvellement.
3/ (1690) Subdivision de l'espèce, délimitée par la variation de certains caractères individuels. — type.— Fig. — forme.
4/ (XVIIe) Au plur. Titre de divers recueils contenant des morceaux sur des sujets variés.— mélange(s). “ Variétés ”, de Valéry. – (1790) Théâtre des Variétés : théâtre dont le répertoire était surtout composé de bouffonneries, de vaudevilles. — (1913) Spectacles de variétés, comprenant des attractions variées (— music-hall). Emission de variétés (radio, télévision), composée de chansons, numéros variés destinée à un large public.
5/ Math. Ensemble des éléments d'un espace* abstrait. Variété à n dimensions. CONTR. Monotonie, uniformité.
Le Petit Robert

Quatre projets d’artistes contemporains qui s’élaborent sur le versant commercial de la musique. Variété, dance music, comédie musicale… dessinent un territoire de légèreté, de l’affect, de l’émotion, de l’adhésion collective. Mais aussi de clichés, de manipulation… De fascination très certainement. Quatre manières d’être des locataires, de s’approprier/questionner la culture par le low.

NATHALIE TALEC Depuis 1986 avec Paroles Gelées, votre travail intègre la musique de variété. Qu’est-ce qui vous intéresse dans ce mode d’expression ?

Nathalie Talec : Paroles gelées est en effet ma première œuvre vidéo musicale. Elle fait suite à un certain nombre de tentatives live. Son titre est emprunté à Rabelais, son chant à un registre populaire musical des années soixante puisque j’y chante Cry me a river inspiré d’un disque vinyle de Julie London.

Il me vient à l’esprit une phrase que j’avais citée et utilisée dans La conférence sur le froid, produite en 1984 : “ Placé dans un verre d’eau, le glaçon emprunte au liquide lui-même la chaleur qui lui est nécessaire. ”. Pour moi, c’est presque une métaphore de la raison qui me pousserait à utiliser la chanson de variété comme faisant partie de mon environnement.
La variété définit un genre mineur. Ses mélodies doivent être simples, la construction musicale non complexe, et les arrangements enchanteurs. La chanson de variété définit une forme de réel articulé autour des sentiments ou émotions élémentaires. Le quotidien y est toujours résumé. La relation à l’autre et au monde en est le point d’ancrage : ça doit communiquer sur des métaphores amoureuses. Cela rejoint mon travail sur toutes les expériences rapportées au corps, au quotidien et au senti.
La variété crée ainsi une zone de turbulence. C’est pour moi une version moderne de ce qui pourrait être des comptines pour adultes. Cela s’approche du presque rien et du je ne sais quoi, sur un temps très court, où doit se condenser le sens. Cela n’a ni la complexité d’une symphonie, ni la durée ni la forme, c’est un concentré de rapport à l’autre.

Avec Gravité (1999), Heidi (2001) et Living Together (2002), vous écrivez vous-même les textes que vous interprétez. Comment abordez vous l’écriture de ces textes ?

C’est une manière d’aborder l’écriture sur son mode mineur sans prétention et sans qualité. Ce qui ma encouragé à cette forme d’écriture, c’est sa syntaxe simple.
Ce niveau élémentaire se constitue en même temps qu’un double sens. Les paroles de ses chansons s’élaborent à partir de références à des œuvres d’art moderne et contemporain. Ces textes sont trace d’une désincarnation d’œuvres des autres. Emprunter aux œuvres leurs titres seuls les éloignent de leur objet et les transforme en un concentré de mots. Il y a, à la fois, la lecture première et immédiate qui peut être entendue comme une lecture simple de texte chanson, et i, en même temps, il y a une référence permanente visuelle et mentale très explosive à toutes ces œuvres qui viendraient se superposer les unes aux autres, sans lien apparent, mais qui constitueraient ce qui pour moi représente le travail de l’art et mon amour pour l’art.

Comment ces chansons et clips s’intègrent-ils dans votre recherche ? quels en sont les enjeux ?

Depuis mes premières œuvres en 1983, je procède à un évidemment permanent des formes et je joue du mélange des genres. Mes terrains d’expériences sont multiples et s’autorisent l’accès simultané au texte, à l’image, à la musique, au son, à la vidéo. Ces chansons sont une prolongation de mes Expériences. Ce sont des œuvres que l’on pourrait qualifier de Pop. Si Warhol utilisait du visuel et de l’image; moi, j‘ai recours au format disque de variété avec ce tout que cela comporte, en tant que forme connue et collective.
Un des autres enjeux, c’est aussi de déborder de ce fameux verre où il y a le glaçon c'est-à-dire déborder du réseau seul de l’art contemporain et par ramification toucher d’autres lieus et d’autres environnements. Par exemple dans la perspective de parachever ce désir de débordement des réseaux, je travaille à une comédie musicale Splash, qui devrait intégrer le réseau de distribution commerciale.

Ce recours à l’univers de la variété témoigne-t-il d’une posture critique ?

C’est une posture artistique.

FANNY ADLER ET CECILE PARIS

Vous vous êtes associées pour coréaliser un CD audio : 3615 AMOUR. Vous y reprenez dans une ambiance home studio des standards de la variétés française. Quel en a été le protocole d'élaboration? Quels en sont les enjeux ? Quelle place ce projet occupe-t-il dans vos pratiques respectives? (sa spécificité, liens et articulations...)

Cécile Paris : J'ai commencé à utiliser des textes issus de chansons populaires françaises pour une pièce interactive en ligne, Où tu voudras. La base était le refrain de L'été indien de Joe Dassin. Aussi le texte de Ouragan de Stéphanie de Monaco m'a inspiré un titre d'exposition Visions d'images.

Fanny Adler : Pour la pièce de Cécile, Où tu voudras, j'ai fait une des voix, j'ai donc “ dit ” le refrain. C'est à ce moment là que notre envie commune de musique s'est fait sentir.

Cécile Paris : Pour notre participation au projet Avis de passage de Philippe Zunino qui proposait dans des bibliobus des multiples d'artistes empruntables, nous avons décidé de ne pas faire d'images mais plutôt un CD audio.

Fanny Adler : Nous nous sommes donc emparées de Ouragan et de L'été indien et nous avons complété cette collection par d'autres tubes français “ love ”.

Cécile Paris : Les couplets de ces chansons, qui sont souvent oubliés au profit des refrains, nous intéressaient particulièrement.

Fanny Adler : Nous avons retranscrit les chansons sans changer le moindre mot et supprimé tout effet de refrain.

Cécile Paris : Pour ce faire nous avons composé de nouvelles orchestrations flirtant avec la “ pop electro ”.

Fanny Adler : Le CD dans sa finalité est livré sans aucune référence aux titres de départ, le jeu pour le public est donc de reconnaître ou pas un texte.

Cécile Paris : En tous cas l'idée est de jouer avec la “ mémoire collective ” de la low-culture que sont ces chansons.

Fanny Adler : En général, les chansons appartiennent toujours affectivement aux auditeurs, celles de 3615 AMOUR, dans leurs nouvelles versions, sont maintenant à nous.

Cécile Paris et Fanny Adler : Ce disque est un travail commun qui s'intègre dans nos pratiques respectives au même titre qu'un projet de film à deux à Hong Kong sur lequel nous travaillons actuellement.
Ce disque est un objet singulier pour nous, dans la mesure où nous n'aurions pas pu le faire individuellement. Il cristallise notre attirance respective pour la chanson d'amour, sans la complémentarité de nos personnalités il n'aurait pas existé. Par exemple dans le cadre d'une exposition personnelle “ Fanny Adler ”, ce disque pourrait être présenté, idem pour Cécile Paris. Il s'agira juste d'annoncer la collaboration, ce n'est donc pas un objet isolé pour nous et notre pratique.

YAN DUYVENDAK

Entre 1995 et 1997 vous avez réalisé une série de vidéos musicales toutes élaborées sur un scénario identique : vous chantez face à la caméra.

Yan Duyvendak : Dans ces vidéos, je reprenais a capella des chansons existantes, tant populaires que classiques. Ces chansons avaient un thème commun, l'art. Je voulais voir comment le monde de la musique reflète (ou s'invente) le monde de l'art : ses aspirations, ses rêves, ses déceptions, ses idéaux. Je voulais en mettre à nu les textes, montrant la relativité du contenu, tout en m'identifiant avec conviction : je chantais à tue-tête en y croyant à fond.

Comment ce projet s'articule-t-il avec le reste de votre production ?

Un jour, quelqu'un m'a dit, après avoir fait une performance avec ces chansons : “ jamais tu ne feras mieux, ce projet te collera à la peau pour toujours ”. Je me suis dit, “ foutaises ! ”. En ce moment mes projets sont moins dirigés sur le monde de l'art, plus politiquement engagés. Je le dis avec prudence : je ne fais pas un travail politique au sens militant, mais au sens de la polis. Je me regarde vivre dans la ville et je réfléchis par rapport à cela. Donc, j'articule mon travail maintenant autour des mass media. J'essaie de voir comment je peux m'identifier avec les figures que les medias nous proposent : la figure du héros par exemple pour savoir ce que la société nous suggère comme modèles (dans la performance My Name is Neo (for fifteen minutes) je reprends geste après geste les images des quinze dernière minutes de The Matrix) ; la figure du mal, pour savoir ce que signifie cette satanisation de l'autre dans l'actualité du monde (dans la performance You Invited Me, Don't You Remember ? j'essaie de jouer Marlon Brando dans Apocalypse Now, Mystery Man dans Lost Highway

Quelles sont vos relations avec la musique commerciale, ou de variété ?

J'adore, tout, et je déteste. C'est là que j'essaie de travailler toujours, sur ce point vertigineux entre dégoût et attirance, plaisir et horreur.

BORIS ACHOUR

Pouvez-vous présenter la pièce Totalmaxigoldmachinemegadancehit2000 réalisée pour Négociations ? Quels en sont les enjeux ? Comment s'inscrit-elle dans votre travail ? Vous avez eu recours également à la Lambada pour l’œuvre présentée à montreuil l'an dernier... Quelles relations entretenez-vous avec la variété et la musique commerciale?

Boris Achour : This is the rythm of the night. Corona Totalmaxigoldmachinemegadancehit2000 est une pièce sonore réalisée lors de l’exposition Négociation, au CRAC, Sète, en Juillet 2000. Elle consiste en la mise bout à bout d’extraits très courts de hits de Dance-Music. On peut définir la Dance-Music comme un sous produit de la House et de la Techno en une version commerciale, vulgarisée et abâtardie. C’est le genre le moins noble de toutes les musiques électroniques. Contrairement à d’autres genres musicaux mieux estimés, parfois utilisés par les artistes contemporains, la Dance est dévalorisée, d’une part à cause de son aspect de strict produit commercial marketé mais également à cause d’une qualité musicale considérée comme inexistante. Les morceaux de Dance sont des produits fabriqués par des producteurs, et non par des musiciens, d’accès faciles, basés avant tout sur l’efficacité, la répétition, la rotation rapide. Totalmaxigoldmachinemegadancehit2000 s’inscrivait dans une exposition estivale se déroulant dans un centre d’art de la Côte Méditerranéenne et dont le sujet était l’Economie. La pièce était diffusée à très fort volume, ce qui avait pour premier effet de parasiter les œuvres environnantes, mais aussi, à cause de la brièveté des extraits et des ruptures de rythmes d’interdire au spectateur toute possibilité de danser. Il ne s’agissait donc surtout pas de transformer le lieux d’exposition en lieu convivial ou festif, mais plutôt de donner à entendre des bribes d’une culture commerciale et populaire, dans une version décontextualisée, agressive, et interdisant toute participation.
Ce qui caractérise la Dance est également vrai pour une chanson comme la Lambada, (version Kaoma) qui fut un tube planétaire voilà une dizaine d’années, et que j’ai utilisé dans Cosmos. Cosmos est une énorme “ tête ” sans yeux, ni bouche, ni oreilles, pendue à l’envers au plafond, et tournant sur elle même tandis que des hauts-parleurs diffusent une voix murmurant doucement cet hymne mondial à la sensualité télégénisée.
Dans un cas comme dans l’autre, au delà de l’aspect strictement lié à la musique dite commerciale ou de variété, ce sont les liens avec des formes de cultures populaires (dont je suis un usager, un consommateur et un amateur) qui m’intéressent. Ici comme dans l’ensemble de mon travail, ce qui m’importe est “ ce qui est là ”, ce qui relie tout en perturbant, et ce qu’il est possible d’en faire. L’œuvre d’art à l’ère de son hyper marchandisation, du tube planétaire et de la rotation rapide des noms et des produits.

Propos recueillis par Frank Lamy
Briseglace n°0, juin 2002



Haut de page
ici