Présentation     Artistes & Collectifs     événements & Expositions     Pédagogie & Communication     Boutique     Liens  
Frank Lamy index

Entretien avec Claire Le Restif


Depuis 1999, la Maison Populaire de Montreuil confie la programmation des expositions à un commissaire différent chaque année. Après Jean-Charles Masséra, Estelle Pagés et François Piron, l’année 2002 sera orchestrée par Claire Le Restif.

Parpaings : Comment as-tu élaboré tes projets d’expositions ?

Claire Le Restif : Le contexte est un peu atypique. Il s'agit d'un lieu d’expositions au sein d'une structure pluridisciplinaire pour laquelle m'est confiée un année de programmation.
Assez naturellement, j’ai envisagé mon projet, non pas comme une exposition en plusieurs volets, mais, comme une série d’expositions successives.
Ma première réaction a été de me remémorer les propositions de mes prédécesseurs. Certains artistes qui m’intéressent ont déjà étaient invités dans cet espace. Evidemment, il faut donner la possibilité à ce lieu de recevoir d’autres propositions.
Pour ma part je renconduis une invitation à certains artistes avec lesquels j'ai déjà travaillé. Sous un angle d’approche différent. Par contre ce sont des artistes qui n'ont jamais exposés ensemble exception faite de Véronique Joumard et Hugues Reip. J’ai eu également envie d’inviter des artistes étrangers. Je pense que cela peut faire naître de nouvelles connivences ou connections et permettre une mise en réseau avec l’étranger.
L’espace de Montreuil, c’est 160 m2, c’est un budget et des conditions de travail précises. La Biennale de Venise, c’est de l’addition. Ici, pour réaliser mon commissariat, j'ai dû procédé à des soustractions.
Pour chacun des épisodes, j'ai choisi de limiter mon invitation à un petit nombre d'artistes pour qu’ils aient chacun une possibilité de production.
Pour les deux premières expositions, je n'ai pas réalisé un choix parmi les oeuvres des artistes, mais ma méthode de travail est plutôt d'écouter et d'accueillir leurs propositions. Certaines se traduiront en terme de productions inédites, d'autres en terme d'adaptation de pièces existantes. Ce qui compte pour moi ce n'est pas leur nouveauté, mais leur pertinence.

Parpaings :Bien qu’elles soient autonomes, existe-t-il néanmoins un lien entre les différentes expositions ?

Claire Le Restif : Ce qui m’importe, c’est exposer tout au long de l’année 2002, quelques une de mes préoccupations. Définir un projet annuel à partir d'une thématique ne m’intéresse pas beaucoup. Le point de départ de mes projets est rarement théorique. C'est la fréquentation assidue des œuvres et des artistes qui est à l'origine de chacun d'entre eux.
Mes préoccupations esthétiques et théoriques sont assez larges, hétérogènes, à l’image, je crois, de ce que nous proposent actuellement les artistes. Les artistes qui m’intéressent utilisent des médiums totalement différents et des préoccupations diverses. Ces expositions seront donc placées sous le signe de la diversité.

Parpaings : Ce mois ci, tu commences avec CQFD qui réunit Simone Decker, Véronique Joumard et Hugues Reip.

Claire Le Restif : Etant donné que la réalité d'une exposition c'est d'être déjà dans la réalité d'un espace, CQFD, réunit trois artistes qui développent chacun à leur manière, et pour une part de leur travail, un rapport à cette notion. Tous trois ont cette faculté d'installer leur territoire en alliant discrétion, légèreté et efficacité. Aux questions liées à l'espace, ils formulent des réponses au contexte, au temps, au lieu, à "l'atmosphère".
Lorsque j'évoque la question de l'in situ, c'est au sens où elle signale un lien organique explicite entre des éléments donnés et leur situation (entre les oeuvres et le lieu). L'in situ est une des formes caractéristiques d'intégration dans l'oeuvre de sa circonstance d'apparition.
Cette notion m'intéresse d'autant plus que les pratiques artistiques de Simone Decker, Véronique Joumard et Hugues Reip, entre autres, anticipent la question du lieu, dans leur économie de production. Toutes à la fois rétractiles et extensibles, les oeuvres présentées sont adaptables et révélatrices (au/du) lieu d'investigation. Tous trois sont des constructeurs de situations. Ils ont pour habitudes et postures esthétiques d'occuper les emplacements laissés pour compte et placent certaines de leurs propositions dans les interstices des lieux.

Parpaings : Vas-tu conserver la même méthode de travail pour le deuxième volet, Living Together.

Claire Le Restif : Bien sûr. Même si la deuxième exposition est de nature différente. Il s'agira dans Living Together d'exposer une forme d'art liée au comportement. L’autobiographie est choisie par ces artistes comme territoires d’expériences, préoccupation intellectuelle, identitaire, existentielle et sensible. L’auto-captation (vidéo, photo, dessin, objet) est à la fois le moyen singulier qu’ils adoptent pour expérimenter le réel, leur matériau de réflexion, de travail et de représentation. Ils adoptent une sorte d’aller/retour entre privé et public, intime et universel, avec dans le rôle d’étalon leur propre figure.
J’ai invité Michael Dans, Nathalie Talec et Franck et Olivier Turpin, pour la pertinence et l'actualité de leur travail . Pour leur humour décalé.
Discuter, faire des propositions de production, de relecture de certaines de leurs pièces constituera à nouveau la méthode de travail. Nous cherchons ensemble à exposer ce qui semble être le plus intéressant du travail de chacun en résonance ou en réaction au travail de l’autre.
Je tente de mettre en place un lieu de discussion, d'expérimentation. Un petit laboratoire.

Parpaings : Que se passera-t-il après ces deux expositions ?

Claire Le Restif : Il y aura un épisode à la rentrée 2002, qui ne se définira pas exactement comme une exposition. Un autre modèle. Puis un quatrième volet viendra clore ce projet. Ne pas préciser d'ores et déjà les deux derniers éléments du projet m’excite beaucoup. Ils seront sans doute nourris des expériences à venir d’ici l’automne 2002 (celles de Montreuil évidemment, mais aussi ma programmation vidéo pour Les Rencontres Chorégraphiques de Seine-Saint-Denis 2002, un commissariat au FRAC Languedoc-Roussillon, entre autres).
Parce que dés lors qu’on projet est formulé, il semble déjà…

Parpaings : Achevé ?

Claire Le Restif : En tout cas il est énoncé. Je n’ai pas envie d’anticiper ce sur quoi je vais porter mon attention dans les mois à venir. Les différents partenaires de ce projet, ainsi qu'Annie Agopian, Directrice de La Maison Populaire, acceptent ce principe.
Des deux premiers épisodes vont naître une expérience du lieu et des préoccupations complémentaires.

Parpaings : Comment envisages-tu la publication qui fera état de cette année de programmation ?

Claire Le Restif : En effet, il y a un projet de catalogue pour ce projet.
Que peut-on trouver comme forme de trace à cette aventure? Comment réunir, dans un même ouvrage, mes propres interrogations de commissaire et proposer un outil de travail intéressant aux artistes ?
Pour tenter de répondre à ces questions, je vais travailler avec une graphiste, Stéphane Tanguy .Elle va nous, les artistes et moi, dans la réflexion et la conception de cet “ outil ”.

Parpaings : Du 15 au 26 janvier tu es le commissaire de IN-EX-HIBITION, à la galerie des filles du Calvaire à Paris. Ce projet a-t-il des connections avec ce qui va se passer à Montreuil ?

Claire Le Restif : Cette exposition fait suite à deux programmations vidéos, Action/Replay réalisés pour les Rencontres chorégraphiques internationales de Seine Saint-Denis en 2000, à l'invitation d'Anita Mathieu, et vis_à_vis , au Centre Chorégraphique et au Frac Lorraine en 2001. Ces projets sont liés à mon intérêt pour la danse contemporaine, ou plus précisément à ce que l'on peut nommer les actes chorégraphiques, solos et duos, formes modestes proches de la performance. Christine Ollier, directrice artistique de la Galerie des filles du Calvaire m’a proposé de projeter ce programme. Ne s'agissant pas du même contexte, nous avons décidé ensemble de faire évoluer ce projet vers une forme mi-projection/mi-exposition (vidéos, photos, objets, dessins).
Il est question d'intimité, d'exhibition et d'Exposition dans IN/EX-HIBITION. Cela aura moins trait à la chorégraphie et à la performance.
Bien que cette question de l’intime, ait déjà été fort bien commentée, je ne m'interdis pas dans faire ma propre lecture.
Pour répondre à ta question : Nathalie Talec, Franck et Olivier Turpin seront présents dans IN/EX-HIBITION. Simone Decker participait à Action/Replay en 2000. On voit bien la relation avec Living Together. Pour CQFD, la question du lieu pose nécessairement la question du corps. Ce n’est pas si loin de mon intérêt pour la déambulation, pour le corps agissant ou agi.

Propos recueillis par Frank Lamy, Paris, décembre 2001

Parpaings n°30, février 2002



Haut de page
ici