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Réserves


Ambiance magasin : sous ce titre programmatique, Caroline Bissière et Jean-Paul Blanchet ont réuni quelques 70 créateurs : plasticiens, stylistes, designers pour une exposition ambitieuse. Le programme affiché : témoigner de la « convergence des différentes problématiques de création »(*). Chaque créateur participant est convoqué pour sa pratique particulière. A Meymac donc, pas de fonds de tiroir ni de produits dérivés type vaisselle signée, mais bien des œuvres à part entière. Se mêlent les fines fleurs du design, de la mode et de l’art contemporain (à noter quand même la place prépondérantes accordée aux plasticiens). Le constat de la porosité des différents champs créatifs (ailleurs on parle de connivence) n’est pas nouveau, tant s’en faut, il est même furieusement tendance. Et une manifestation pointant sérieusement ces questions-là semblait la bienvenue. Malheureusement, on peine à discerner clairement le propos et trouver une cohérence dans ce projet qui pèche, peut-être, par son ambition même.

MAGASIN

Pour l’occasion, l’abbaye Saint-André est transformée en un grand magasin, fictif évidemment. Tirant parti de la structure du bâtiment qui se déploie en étages autour d’un escalier central, l’exposition est divisée en departement stores : au rez-de-chaussée, le rayon jardin ; au premier, le mobilier ; au second, la mode ; au troisième, les sports et loisirs ; sous les combles, la literie. « Le magasin est par nature un lieu de monstration, de proposition et d’échange, c’est-à-dire de commerce, un lieu de comparaison et d’ajustement aux besoins. » (*)
On comprend bien, en terme de scénographie, les potentialités que recèle une telle image : visite-parcours, grande légèreté, non linéarité… Mais, au delà des simplifications et détournements que cette métaphore fait subir à certaines œuvres (Les « Isoloirs » de Fabien Lerat se transforment en cabines d’essayages), ce titre oriente le propos de l’exposition vers d’étranges territoires.
L’art contemporain et les grands magasins font bon ménage ces derniers temps : tel présente les collections privées des créateurs de mode, tel autre propose des interventions dans ses vitrines. De Colette au BHV, le recours à l’art contemporain dans les magasins participe largement des politiques marketing. Comment comprendre alors, au delà du clin d’œil, la métaphore utilisée à Meymac ? Position critique ? Pourquoi alors reproduire partiellement le même schéma ? Et de quel magasin s’agit-il ? supérette, supermarché, grand magasin, concept store…
Ce qui est convoqué serait donc l’idée même de magasin. Certes. Mais, le magasin est par essence un lieu de consommation. Un lieu marchand, un espace de concurrence, de marketing, de merchandising, de stratégie. Sans faire d’angélisme, que vient faire alors cette image dans le contexte d’un centre d’art ?
Du magasin n’est retenu qu’une forme vague (il est vrai que le titre l’annonce : ambiance magasin. Mais où sont les vendeuses, l’espace sonore, les présentoirs et autres têtes de gondoles… tous ces détails qui en construisent l’atmosphère ?). Pourquoi cette forme ? Parce le magasin « suggère au visiteur d’adopter une posture principalement animé par la curiosité et le désir, il pourrait permettre dans une libre circulation d’apprécier sans dogmatisme, la réalité des convergences ou la consistance des écarts » (*). La simple structure spatiale produirait donc comme un réflexe de Pavlov chez le visiteur.

TENDANCE FLOUE

Aujourd’hui, toutes les disciplines de la création se mêlent et l’exposition prétend se situer « à ce point de contact et d’outrepassement des démarches ». Une des questions est : « comment repérer les frontières supposées entre l’art et la mode, entre l’espace intime et l’espace social » ? (*)
Le propos d’Ambiance magasin est donc de questionner les frontières mouvantes et floues entre arts plastiques, design et stylisme. La position est pertinente au regard par exemple des photographies d’Inez van Lamsweerde véritablement au croisement de différents champs. On s’interroge sur la présence de certaines œuvres comme les boîtes de conserve de Martine Aballéa, les confitures de Lucy Orta… Quel est là le point de contact et d’outrepassement ? On se dit alors qu’à l’instar d’artistes comme Natacha Lesueur ou Fabrice Gygi avec son « Parcours vita », une des pistes de lecture serait l’exploration d’œuvres se construisant par l’utilisation de vocabulaires exogènes aux arts plastiques. Mais qu’en est-il alors des photographies de Giasco Bertoli, des dvd de Claude Closky, de la vidéo de Muriel Toulemonde…
A moins que l’objectif ne soit d’amener le visiteur à s’interroger sur la nature de ce qu’il voit. Mais ce brouillage volontaire a-t-il un sens ? N’a-t-il pas l’effet inverse ? Suscitant du visiteur une désignation arbitraire, il renforce et exacerbe les catégories ? Quel est l’intérêt de transformer une visite d’exposition en quizz et ce alors au grand mépris des œuvres et du public ?

NIVELLEMENT

L’accrochage est formellement très réussi. Des connections, des liens inattendus s’opèrent… à supposer d’être déjà informé. Car, pour interroger les frontières arts plastiques/stylisme/design, suffit-il de juxtaposer une étagère de Pierre Charpin et une de Joep Van Lieshout ? Ou ailleurs des chaises de Michel Guillet et de Nestor Perkal, les poufs de Matali Crasset et ceux de Tobias Rehberger ? une « robe-tente » de Jean-Charles de Castelbajac et un « Expedition Equipment » de Carsten Holler ? un lit de Ronan Bouroullec et un hamac de Christelle Familliari ? que démontrent ces rapprochements ? Que disent-ils ? que provoquent-ils ? Sans contextualisation, sans informations sur l’origine, le statut etc. l’exposition échoue à envisager les « objets » montrés dans leurs spécificités. Est alors posé de facto un principe d’équivalence qui tend à réduire la totalité des pratiques à leur simple aspect formel ou anecdotique. On demeure à la surface de ces objets (significatif à cet égard le choix d’œuvres utilisant des matériaux lisses, glissants, des formes toutes en rondeurs, sans aspérités). Ce pêle-mêle, ce mélange nivelle tout. Tout projet critique s’en trouve désamorcé. (exemple : le travail de François Curlet sur les logos, de Fila à Hermès à l’ère du branding).

DECONTEXTUALISATION GENERALISEE

Derrière -ou à l’origine ?- de cette décontextualisation, se profile chez les commissaires l’idée d’une autonomie de l’objet. Ce dernier se suffirait à lui-même. Les tenants et aboutissants d’une démarche s’y incarneraient et seraient visibles. « Il paraît aujourd’hui assez convenu de remarquer la convergence des différentes problématiques de création –arts plastiques, stylisme, architecture, design- en des temps qui sont ceux du quotidien ou encore de la fête, dans les sphères du privé ou du collectif, dans le champ vaste de la Culture quand on l’entend comme expression des dimensions et modèles d’une société. Vers un point où ces dimensions se cristallisent, se résolvent ou s’affrontent, l’objet garde la trace de ces trajectoires, les unes partant de représentations qui le surplombent, les autres de ses fonctions utilitaires ou esthétiques. » (c’est moi qui souligne) (*).
Il ne s’agit pas de revendiquer l’étanchéité des cases et l’imperméabilité des pratiques mais chaque production ne s’inscrit-elle pas dans une logique et un contexte particuliers. Une chaise de plasticien et une chaise de designer participent-elles d’une même logique ? Si les frontières sont poreuses et de plus en plus floues, peut-on néanmoins nier leur existence ? Chaque discipline, même si elle dialogue avec d’autres, possède une logique, une économie, une histoire propre. Il en résulte qu’un designer, un styliste et un plasticien n’entretiennent pas les mêmes relations avec les notions d’usage, de fonction, de forme, de production, de rentabilité etc. Comment dans cette perspective « apprécier, sans dogmatisme, la réalité des convergences ou la consistance des écarts » (*) ?

(*) toutes les citations : Jean-Paul Blanchet, texte de la publication accompagnant Ambiance Magasin

Frank Lamy

Entretien avec Caroline Bissière et Jean-Paul Blanchet

Pouvez-vous présenter le projet Ambiance magasin ? Que cache ce titre et cette métaphore filée du magasin ?

Ambiance Magasin se situe dans la suite des expositions thématiques que nous organisons au Centre depuis sa création, dont l'ambition est de pointer du doigt une situation significative.
Ambiance Magasin met en scène les relations possibles que beaucoup, à tort ou à raison, soulignent entre les divers champs de la création plastique d'aujourd'hui. Ce faisant, elle prolonge une tendance qui voit de plus en plus de galeries, de musées ou de Frac, s'intéresser à la mode, à l'architecture ou au design. La proposition va simplement un peu plus loin, en accentuant les conséquences logiques de cette poussée. En 1977 déjà, nous avions invité sur le même plan, pour une exposition croisée, Gérard Garouste et Garouste & Bonnetti. Ambiance Magasin, reprend cette démarche, de façon plus radicale, dans un secteur de la création aux antipodes du grand art, puisqu'il questionne non pas la peinture ou le bel objet, mais les besoins et les formes d'esthétiques du quotidien, au niveau du banal, de l'utilitaire.

Force est d'ailleurs de constater que les plasticiens sont maintenant souvent présents dans les concepts stores ou les grands magasins. Ambiance Magasin, le titre est un peu provocateur. La fiction du magasin, un lieu de monstration polyvalent, nous permettait d'associer de façon non dogmatique, non frontale, les arts plastiques, le design ou la mode, en évitant de les ordonner selon une nomenclature certes arbitraire mais repérable qui fournissait un moyen simple de comparaison et d'appréciation des différences. Le titre, en suggérant un espace décalé, en proposant une " ambiance " différente de celle d'un Centre d'art, est une invitation à adopter un comportement différent.
La scénographie de l'exposition est très présente. Comment avez-vous organisé la mise en espace ? Quel statut occupe-t-elle face à des œuvres qui pour la plupart contiennent en elles-mêmes leur propre scénographie ?

Toute exposition est une mise en scène. Les codes couleurs, les matériaux utilisés ponctuellement ont pour fonction d'unifier l'espace intérieur très varié du bâtiment et d'asseoir symboliquement la fiction du magasin. Pour l'essentiel, la scénographie consiste surtout dans un parti pris de mise en espace proposant une circulation facile, ludique, d'une œuvre à l'autre.
Dans ce cadre, dans cette ambiance, chaque œuvre peut jouer sans problème sa propre partie. Un exemple : les cinq isoloirs de Fabien Lerat, placés dans le même espace que les robes de Jean-Charles de Castelbajac, Agatha Ruiz de la Prada et Françoise de Vanssay pourraient évoquer, n'étaient leur forme et le fait que malgré la fiction chacun sait qu'il se trouve dans un Centre d'art, des cabines d'essayage qui sont des sortes d'isoloirs. Ce faisant, ce glissement possible du sens souligne l'offre d'y pénétrer, ce que font de nombreux visiteurs, et de ne pas les considérer uniquement comme des volumes.

Vous ouvrez le texte de la publication qui accompagne l'exposition, avec cette affirmation: "Il paraît aujourd'hui assez convenu de remarquer la convergence des différentes problématiques de création -arts plastiques, stylisme, architecture, design-". Effectivement. En quoi cette exposition s’inscrit-elle dans cette problématique? Et en quoi la renouvelle-t-elle ?

De plus en plus nombreux sont les stylistes ou les designers qui se revendiquent en tant qu'artistes. Leurs trajectoires souvent les justifient. Ainsi dans l'exposition coexistent des plasticiens issus d'écoles de design, des designers ou des stylistes passés par des écoles des beaux-arts. Depuis la création du Centre d'art contemporain de Meymac, nous organisons régulièrement des expositions qui proposent des lectures d'une période ou d'un courant, ou qui vérifient la pertinence d'une théorie. Ambiance Magasin, dans cet esprit, propose de vérifier cette assertion. Dans ce dessein, nous avons privilégié des artistes qui travaillent aux frontières de ces champs respectifs, dont les œuvres se réfèrent au lieu possible de ces convergences ou de ces recoupements : le quotidien. Si l'exposition renouvelle cette problématique c'est sans doute en allant au bout de la logique de ces analyses, hors toute hiérarchisation ou classification à priori. Elle est, en ce sens, expérimentale.

Si les frontières entre toutes ces disciplines sont poreuses, elles existent encore. Vous présentez environ 70 artistes, stylistes et designers sur le même plan, sans distinction, qu'espérez-vous de ce mélange ? N'avez-vous pas peur d'un certain nivellement ?

Quels que soient les recoupements, les frontières subsistent entre les arts plastiques et les autres disciplines, encore faut-il en comprendre le pourquoi. C'est ce que doit permettre justement cette exposition. Le décalage opéré par la fiction de magasin brouille les repères et les classifications à priori. Elle est volontairement destabilisante. Mais puisque nous sommes malgré tout dans un centre d'art, elle induit une question récurrente que chacun va se poser, à partir de son expérience, de ce qu'il sait : quoi relève et pourquoi de tel ou tel champ ? En fait, Ambiance Magasin est la mise en scène d'une question : qu'est-ce que l'art ? Elle suggère de trouver la réponse moins du côté de la forme que de celle de l'intention qui y préside. Pour cette raison, les risques de nivellement dans une sorte de marais esthétique paraissent exclus.

Paris le 4 septembre 2001
Propos recueillis pas Frank Lamy

AMBIANCE MAGASIN
Abbaye Saint André
Centre d’art contemporain
19250 Meymac
05 55 95 23 30
jusqu’au 11 novembre
avec Martine Aballéa, Judith Bartolani et Claude Caillol, Alexandre Bau, Vincent Baurin, Yves Béhar pour Fuseproject, Wout Berger, Thomas Bernstrand, Giasco Bertoli, Bi.cks, Michel Blazy, Andrea Blum, Etienne Bossut, Ronan et Erwan Bouroullec, Anne Buholzer, Jean-Charles de Castelbajac, Pierre Charpin, Claude Closky, Serge Comte, Tony Cragg, Matali Crasset, François Curlet, Frédérique Daubal, Tom Dixon, Christelle Familliari, Daniel Firman, Nicolas Floc’h, Khristian Gavoille, Fabrice Gygi, Liam Gillick, Catherine Grandidier, Marie-Ange Guilleminot, Michel Guillet, Carsten Höller, Hubert Jozon, Stefan Kern, Fabien Lerat, Natacha Lesueur, Mathias Maraldi, Martin Margiela, Ingo Mauer, Mathieu Mercier, Yan Morvan, Patrick Nadeau, Lucy Orta, Nestor Perkal, Dan Peterman, Emma Pile, Philippe Ramette, Tobias Rehberger, Casimir Reynders, Vava Ribeiro, Georges-Pascal Ricordeau, Ab Rogers, Agatha Ruiz de la Prada, Martina Salzberger, Franck scurti, Bervrely Semmes, Wiebke Siem, Chris Slutter pour Droog Design, Sony Design, Stodio Broess et van Hest, Martin Szekely, Francisco Torres, Muriel Toulemonde, Christophe Touzot, Masamori Umeda, Walter Van Beirendonck, Inez Van Lamsweerde, Joep Van Lishout, Fançoise de Vanssay et François Verlant.

Parpaings n°26, octobre 2001



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