Présentation     Artistes & Collectifs     événements & Expositions     Pédagogie & Communication     Boutique     Liens  
Frank Lamy index

L'Image Consommée


L’IMAGE CONSOMMEE Il n’est pas nécessaire de créer des images. Il y en a déjà suffisamment. Banalité que de dire qu’elles nous entourent, que les frontières entre le réel et sa représentation sont floues et incertaines, voire parfois inexistantes.

Dan Hays utilise des images qui sont issues, pour la plupart, de documents imprimés, parfois de vidéos. Des images multiples. Des clichés. Une pratique courante chez bon nombre de peintres aujourd’hui. Néanmoins, chez lui, cela n’est pas anodin.

Dans la masse des images possibles, à disposition, le choix ne procède pas du hasard. Toujours, elles possèdent un lien très fort avec l’intimité du peintre. Sans que jamais cela ne soit revendiqué, ni expliqué. Elles le concernent de très prés mais on ne sait pas en quoi. Et peu importe. Pas plus qu’il ne s’agit de représenter le monde, il n’est question de témoigner d’une quelconque intériorité. Une des manières pour le sujet-peintre d’être, dans un même mouvement, présent et mis à distance. Double mouvement qui est le propre d’une certaine pratique picturale contemporaine.

Les images sont, pour Dan Hays, motifs, matière première. Extraites de supports quotidiens tels que magazines, catalogues de vente par correspondance, cartes postales, boites d’allumettes, vidéos… Ce sont des images que l’on pourrait qualifier de pauvres. De par leur définition, leur trivialité, leur uniformité… Elles participent de la société de consommation. Elles sont le lieu où le désir est mis en scène, provoqué. Construit. Et c’est ce décalage entre la charge de désir qu’elles sont censées déclencher et la pauvreté des moyens mis en œuvre qui suscite son intérêt. Non pas simplement dans une perspective critique mais parce que c’est là, très précisément, que la peinture peut s’engouffrer.

Une fois utilisées, ces images sont abstraites, proprement. Issues de. En outre, elles ne signifient pas en elles-mêmes mais par tout ce qu’elles convoquent. Elles sont là comme des signes.

Résolument contemporaines, elles appartiennent à la tradition de la peinture occidentale. Aux genres dits mineurs, comme la nature morte, le paysage, ou la peinture animalière…

Housses pour meubles, tentes de camping, forêts all over.. autant de convocations de la notion de surface. Topique de la réflexion picturale. Mais aussi, affirmation de la qualité d’écran que recèle toute image. Son pouvoir d’obstruction intrinsèque.

En peignant des animaux domestiques et génétiquement modifiés ( Guinea pigs, 1997), leurs cages (1998), des jardins, paysages touristiques et autres forêts (qui aujourd’hui sont des espaces entretenus), Dan Hays inscrit son travail à l’exact point de rencontre entre nature et culture. Existe-t-il encore un espace de réalité qui ne soit pas colonisé pas l’homme ? De même que la distinction réel/représentation n’est plus opérante, le couple nature/culture est lui aussi invalide.

Une de ses dernières toiles, Monet’s garden, est réalisée à partir d’une vidéo sur le jardin de Giverny, où Monet peignit ses Nymphéas. Plus de soixante-dix ans après la mort du peintre, que reste-t-il de son jardin, et au-delà, de son œuvre ? combien de filtres nous faut-il traverser pour l’atteindre ?

Under Canvas est une série de tableaux qui donnent à voir une tente dans un paysage bien propre et ordonné. “ Under canvas ” en anglais veut dire “ sous la tente ”, mais, ici, dans le contexte pictural peut signifier “ sous la toile ”. Dan Hays joue de cette ambiguïté sémantique. Que l’attention du regardeur se porte sur ce qui est sous la tente ou sous la toile, l’objet de cette attention n’est en tout cas pas visible. L’image ne le montre pas. Comme une invite pour le regardeur à considérer autre chose que ce qui est représenté. A aller au-delà. A sortir de l’image et de ses tyrannies tout en y entrant.

Pour Dan Hays, le processus de sélection “ élève le sujet choisi du banal à quelque chose de signifiant au travers de l’acte de peindre ”. Assumer l’image et la travailler par le peindre.

Dans le mode opératoire, se conjuguent à nouveau présence et distance. Certaines toiles sont, au préalable, divisées en carrés, ou bandes, réguliers, qui sont peints dans un ordre aléatoire. Première conséquence : même si les décalages existants entre chaque partie sont infimes, le tableau est comme en équilibre, quasiment au bord de son effondrement. Il est véritablement un agencement de morceaux de peinture. Deuxième conséquence : Dan Hays s’empêche, par ce traitement fragmenté, toute vision globale du tableau final. Entièrement absorbé dans la parcelle qu’il est en train de peindre, il en oublie l’ensemble. Cette grande proximité, il est véritablement dessus, éloigne les débordements expressionnistes. Il est dans le faire. Comme une machine. Dans l’exécution.

Cette fragmentation a des échos visuels. Dans Monet’s Garden, le traitement en bandes paralléles a quelque chose à faire avec l’image télévisuelle ou vidéo. Ailleurs, Field and Garden, on assiste à une contamination du fond et de la figure, sans que l’on puisse dire qui contamine qui. Dans Through the Trees (où l’on retrouve cette invite à passer à travers, à aller au-delà), le ciel et les arbres ne sont pas traités de manière identique. Soient des troncs et du feuillage, peints en premier, avec une facture très lisse, presque photographique. Ce qui est normalement “ derrière ” les arbres, c’est à dire le ciel, le fond, est peint après, plus en matière, en une série d’aplats bleutés, assez loin des conventions réalistes. Cette dissociation (que l’on retrouve à l’œuvre dans d’autres tableaux) disloque l’illusion, ruine l’image pour la transformer en tableau.

Les mondes du pictural et de l’image entrent en un dialogue qui ne se joue pas, plus, sur le mode de la confrontation. Sûrement, parce qu’il ne s’agit plus, aujourd’hui, de lutter contre les images, de les dénoncer. Mais de faire avec. S’infiltrer, en pervertir la logique, en utiliser les composantes. Les travailler de l’intérieur.

On pourrait dire de la peinture de Dan Hays qu’elle achève l’image. (Achever : finir, terminer, apporter le dernier élément nécessaire pour que se réalise pleinement un état, un fait, et porter le coup de grâce, ruiner définitivement).

Ce n’est très certainement pas le contenu qui accomplit l’image. C’est sa présence. En tant qu’image. Avant d’être l’image de quelque chose, une image est avant tout une image. Dan Hays en utilise la substance, c’est-à-dire son mode de constitution, ses caractéristiques, pour la vider de tout contenu informatif qui dirait quelque chose du monde, qui concernerait autre chose qu’elle-même. Chez lui, l’image est présente, presque surprésente. Il ne se départit pas d’une iconographie figurative. Mais, l’image est inutilisable, vidée qu’elle est. Elle ne renvoie véritablement plus qu’à son statut, de fiction, de construction. Par l’inscription dans le domaine pictural, elle est ainsi parfaite. Mais cette perfection la détruit.

Le peintre n’est pas un producteur, mais un consommateur d’images. Peindre n’est pas produire mais consommer.

Consommer : (dérivé de faire la somme) mener une chose au terme de son accomplissement, achever, couronner, parfaire. Consommer : (dérivé de consumer) amener une chose à destruction en utilisant sa substance, en faire un usage qui la rend par la suite inutilisable, user, utiliser, absorber, employer, consumer. Tout le champ lexical que déploie ce verbe (consommation, consommateur, consommé) contient cette même ambivalence : parfaire et détruire. Oscillation.

Frank Lamy

“ L’image consommée ”, catalogue de l’exposition de Dan Hays, Galerie Zürcher, Paris, novembre-décembre 1999 ; texte repris dans le catalogue de l’exposition JungeKunst e.V, Wolfsburg, mai-juillet 2001



Haut de page
ici