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La Peinture Ventriloque


LA PEINTURE VENTRILOQUE

Alicia Paz peint comme si. Comme si ses tableaux se peignaient d’eux-mêmes. Comme si ils s’animaient et prenaient les pinceaux. Comme si il leur arrivait quelque chose.
Des figurines rocailles de porcelaine émaillée (bergères, paysans ou singes peintres) prennent la pose et badigeonnent le fond de leurs tableaux. Un clown-fantôme barbouille son autoportrait. Une tête est emprisonnée derrière les crayons qui l’ont gribouillée. Un lapin bleu, aux côtés d’une infante tirée d’une toile de Velazquez, tient le crayon avec lequel il vient de lui dessiner des moustaches, de la “rectifier”. Un autre lapin en peluche recouvre au rouleau une reproduction du Colosse de Goya…
Ces situations fictives se déroulent sous nos yeux. Tout au moins, c’est ce qu’elles voudraient nous laisser croire. Elles aussi, elles font comme si. Mais personne n’est dupe. Tout ceci est peinture, rien que de la peinture. Une peinture consciente. Une peinture qui, avec humour, se donne explicitement pour ce qu’elle est : espace de feintes et d’artifices. Un espace ventriloque. En peignant des personnages peints en train de peindre, il s’agit de redoubler la peinture même et, avec une fausse naïveté, de mimer le processus représentatif, d’en donner des signes, véritables tableaux de tableaux. Pourtant, ce n’est en aucun cas une peinture narcissique, close. Si déconstruction du tableau il y a, celle-ci sert de support, non point de but. Bien sûr, elle exhibe la matérialité de la peinture, la planéité… Mais les taches, les coulures sont “fausses”. Elles sont peintes, représentées. Son objet (son sujet ?) est l’opération qui conduit à la représentation. « Je veux faire une peinture qui décrit le monde mais qui se regarde elle-même comme faisant partie de ce monde-là », écrit Alicia Paz. Son projet est de chercher à « parler non seulement de l'apparence des choses qui nous entourent mais aussi des moyens que nous avons pour percevoir ces apparences, ou pour les construire ».
De fait, Alicia Paz explore en peinture - c’est à dire avec de la peinture, avec les moyens du peintre, dans l’ordre pictural, dans ce langage spécifique qu’est la peinture – la fiction que toute image, toute représentation quelle qu’elle soit, nécessairement met en place pour fonctionner. Cette fiction essentielle à toute représentation, substance de la représentation, Alicia Paz la représente à son tour, la figure. Non pas pour une dénonciation, qui s’avérerait vaine avant que d’être, mais bien par jeu. Pour jouer « en toute science et plaisir, dans, avec, contre les pouvoirs de l’image » .

Frank Lamy

Verso, n°8, octobre 1997, p.32.

Michel Foucault, « La peinture photogénique », catalogue de l’exposition de Gérard Fromanger Le désir est partout, galerie Jeanne Bucher, Paris, 27 février – 29 mars 1975.



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