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Frédéric Bouglé index

Bernard Calet


Bernard Calet

Lumières iconoclastes


Lumières TV mises en œuvres


(art présence n° 29 janvier-février-mars 1999)


Ce qu’on peut voir au soleil

est toujours moins intéressant

que ce qui se passe derrière une vitre.

Dans ce trou noir ou lumineux vit la vie,

rêve la vie, souffre la vie.

Charles Baudelaire

Le spleen de Paris, 1869

“Les fenêtres” XXXV

Introduction à la lumière

La lumière est d’origine immuable, elle brille du feu du soleil, l’éclat de la première étoile sensible sous les nuées.Son intensité cyclique annuelle témoigne du temps du parcours de la terre, et du jour à la nuit a longtemps institué celui du champ des activités humaines, et celui du sommeil.La lumière représente au niveau céleste la contemplation de l’intemporel et la prescience de l’infini.C’est à la fois la première étincelle née juste avant l’image il y a quinze milliards d’années, et c’est l’intuition irraisonnée de l’éternité.

L’absence d’obscurité hors des forêts expose l’homme encore archaïque aux vues et dangers d’un monde hostile, quand l’ombre l’en protège, mais c’est pourtant la maîtrise de la lumière flamboyante qui lui fait quitter son statut animalier.C’est pourquoi la lumière fut longtemps chargée de connotations magiques que viendra renverser la modernité scientifique, technologique et sécuritaire, sous l’écrasante lumière des cités qui nous surveillent.Pour le sacré, le temple ou l’église représentent la présence où séjourne la lumière divine.L’art roman, timidement, cherchera à exploiter cette présence éclairante avec certaines réussites, telle l’église Saint-Étienne de Nevers.Mais c’est avec l’art gothique que se révélera la toute-puissance de la lumière.Sa dimension métaphysique et néoplatonicienne viendra soulever l’édifice architectural qui transfigure la pensée obscure vers un monde éclairé, non sans parfois un certain mystère: au jour du zénith de l’été, chaque année, à Notre-Dame, une étrange lumière apparaît durant vingt minutes: perçant la grande rosace à la droite du transept, une lueur effleure les piliers d’en face, qui métamorphose sa forme ovale en celle d’un cœur, juste avant de disparaître 1…

La lumière dans l’art, d’abord sujet, puis matériau, puis outil

La lumière représente le sujet de prédilection toujours inépuisable des artistes classiques, mais aussi des modernes jusqu’aux créateurs contemporains.Cette problématique d’origine picturale trouvera un second souffle avec l’apparition de la photographie, puis avec le cinéma et plus récemment avec le moyen vidéo.

De la Trinité d’Andréï Roublev à l’œuvre de Turner, de Matisse 2 à Rothko, des “spaces writing” de Picasso aux balles traçan≠tes de Jean-François Lecourt, de Moholy-Nagy 3 aux néons de Dan Flavin, des rayographies de Man Ray aux caissons lumineux de Jeff Wall, de la Dreamachine 4 de Brion Gysin à la Soft Machine de William Burroughs 5, la lumière a déjà été étudiée dans l’art en tant que sujet matériau ou objet, utilisée en tant que corps et substance physiques, et même appréhendée comme puissance énergétique, psychique et psychotique.

Quand le visage de l’image a disparu, il ne reste que ses lumières.

«L’outil principal qui a été donné à l’artiste avec la vidéo, ce n’est ni le scénario, ni l’image, mais en fait, la lumière 6», ce qu’affirmait Brian Eno à propos de la vidéo, Michel Verjux l’aurait probablement dit à propos du projecteur de diapositives, bien que cet artiste utilise davantage la lumière pour ses qualités de trompe-l’œil, et qu’un cercle ou une porte demeurent encore une image.C’est la lumière TV en tant que principe interne à l’image que nous allons aborder dans l’œuvre de Bernard Calet.L’objet, pour notre œil, fonctionne comme un miroir qui nous renvoie les lumières de l’image qu’il reçoit.La télévision, dans sa boîte noire, est émettrice de lumière qui rétablit sur son écran opaque des images à voir.Tout dans l’œuvre en question part de ce constat paradoxal qui démontre que l’image télévisuelle est subsidiaire à voir, elle va offrir à la lumière son lieu d’incarnation qui se place à la droite de l’image.Comme Jules Verne dans Les Indes noires ne retient de la lumière du jour que l’éclat éblouissant des couleurs, Bernard Calet ne retient de l’image que ses éclats éphémères, un état intermédiaire quand le visage de l’image a disparu et qu’il ne subsiste que ses lumières.

Construction mobile 1995-1997

Une lumière fluide coulant hors de son moule:

C’est la lumière qui agit, qui reçoit et qui donne à des degrés différents

L’objet réel et l’objet trois fois représenté

Dans cette pièce, l’artiste présente des maquettes de construc≠tions mobiles fixées au mur; c’est la lumière qui agit, qui reçoit et qui donne à des degrés différents.Un néon traverse chaque maquette, l’une présentée de face, l’autre de profil, si bien que la lumière fluide du néon coule et se précipite hors de son moule solide.Elle se projette sur la cimaise suivant les formes des ouvertures qui lui sont offertes, celles des portes et celles des fenêtres, et par la tranche de la maquette restée ouverte.Une moitié du néon demeure visible, tandis que son autre moitié est immergée, imperceptible dans la maquette.Si l’extérieur de la sculpture est fait de contreplaqué aux surfaces restées brutes, les faces intérieures sont couvertes de peinture réfléchissante, qui retourne, ainsi que le ferait le réflecteur d’un phare de voiture, les lumières cruelles réfractées par le néon.Ainsi une même lampe nous propose trois lumières à voir, celle (extérieure et violente) directement renvoyée par le néon sur la cimaise, celle plus agressive encore de la maquette intérieure, et celle (extérieure et lénifiante) indirectement projetée par l’ouverture des maquettes et qui disperse le contenu immatériel de son contenant sculptural.La sculpture en tant qu’objet nous est donnée à voir, éclairée par elle-même, pour elle-même, et pour notre regard.C’est l’être lacanien qui donne en pâture de la lumière à notre œil comme d’autres des images, pour mieux aussi se faire ombre à lui-même.L’œuvre opère en effet le renversement des fonctions, celles du boîtier noir de l’appareil photographique ou de la camera obscura: la maquette prend la forme d’un boîtier blanc dans son intérieur qui, plutôt que de conserver jalousement les lumières qu’elle capte, plutôt que de s’approprier l’image blanche, choisit de nous les rendre aussitôt et en direct, ainsi que le ferait une caméra de surveillance.Mais la lumière privée de toute image en mouvement (celle de la maquette) échappe au déroulement du temps, car en tant que telle, elle ne peut être décodée au niveau narratif.Si le sujet du mobile home exprime le nomadisme et le déplacement, le dispositif intemporel en question tend, lui, à fixer le mouvement; ce que nous voyons ce sont des lumières figées, autant que pourrait l’être une image photographique ou un objet réel trois fois représenté.

Pièce(s) unique, 1997

Un signe sur la peau dans le territoire de l’art

Une image métonymique de désir

Dans Pièce(s) unique, le motif du mobile home est tatoué/ cousu de fils élastiques à la surface du mur, inscrivant délicatement l’image sur la peau et la lumière du mur.L’imagi≠naire, le fantasmé du motif inscrit viennent doubler la réalité “comme s’il y avait un objet rêvé derrière chaque objet réel”.Le voyage comme aventure, l’art comme dernière aventure marquent cet “incurable insuffisance d’être” qui se déplace comme un mobile home, et superpose sa topographie mentale à celle des salles d’exposition.Qu’on se souvienne de Raymond Roussel 7 se faisant construire dès 1925 une roulotte automobile de 9 mètres de longueur et dans laquelle il voyagera sans jamais en sortir.L’auteur de La vue reste ainsi dans son mental, dans son instrument d’explorations, où l’œil perce et se disperse, reste chez lui et en lui mais traverse le monde des autres ou sillonne le paysage.Il se construit ainsi un réel dedans sur un dehors finalement fictionnel.La cimaise du mur stigmatise à son tour la fonction du manque autant que celle du désir, le désir schizophrène évoqué par Deleuze et Guattari dans L’Anti-Œdipe.Le mobile home se déplace et se plante, il se greffe tel un signe sur la peau dans le territoire de l’art.Son motif s’inscrit en filigrane comme une métonymie désirante dans les profondeurs de la mémoire.

Écran, 1998

Seul assis sur ce siège, seul face au petit écran, seul face à ses choix

La distorsion entre le vertige de l’espace bien réel et la fiction d’un film

La position inconfortable du spectateur devenu acteur malgré lui

Guy Debord dans La société du spectacle parle de vertige quand «dans le monde inversé, le vrai est le moment du faux» et que l’être moderne préfère à la réalité sa copie imagée et virtuelle 8.La lumière serait une image troublée et le virtuel des lumières; la lumière c’est du réel qui déplace les repères du visible jusqu’à s’y confondre (comme dans certains environnements de Claude Lévêque). Dans l’installation intitulée Ecran présentée par Bernard Calet au Centre d’Art d’Ivry-sur-Seine, le spectateur arrive sur une plate-forme qui surmonte la salle d’exposition en contrebas, et surplombe le moniteur vidéo.Sur celui-ci est présenté un film sur la maquette d’une maison/témoin hybridée d’un mobile home, habitacle parfait, structure mutante, qui vient interroger les confusions du regardeur dubitatif glissant sur une réalité trop luisante.Le spectateur se trouve exposé en tant qu’acteur sur un plateau blanc de peinture réfléchissante qui évoque un écran de cinéma mis à plat. Ainsi perché sur sa terrasse, sur sa scène de théâtre (quand au cinéma il se trouve confor≠tablement assis en position inverse) il se sent un peu mal à l’aise.Le siège où on l’invite à s’asseoir est fixé sur le champ extérieur et au bord du vide.L’ombre creuse de la solitude hante cet impossible intermédiaire entre l’espace et son double illusoire — seul assis sur ce siège, seul face au petit écran, seul face à ses choix, seul au bord du vide — là où le doute s’installe sur la position à prendre, là où s’installe la distorsion entre le vertige de l’espace bien réel et la fiction d’un film vidéo à voir, c’est le spectateur devenu acteur malgré lui qui va subir: rester debout et à distance? s’ap≠procher? s’asseoir sur ce bord? ou… se jeter dans le vide?

Mobil-Home/Images, 1996

Maison/TV, 1998

Bâtir, 1996

Le papier-calque: papier/peau/piège

Des cages à lumière à chaque seconde différentes

La maison de papier, le piège où siègent des lumières éphémères

L’image qui échappe à l’unicité et l’uniformité de sa position apparente

Dans Mobil-Home/Images, autant que dans Maison/TV, l’artiste construit ses maquettes avec du papier-calque aux surfaces cousues de fil blanc.Dans le premier cas, les faces intérieures sont impressionnées par des images de lieux, de détails comme prélevés lors de déplacements.Le papier-calque, à la fois opaque et transparent, souple et cassant, accuse l’intérêt et la nature hybride du moyen employé.Image de la peau ou peau de l’image, ce papier valide autant l’écran perlé de la toile de cinéma que la toile préparée du peintre, qui offriront aux Maisons TV et à chaque seconde qui passe des couleurs différentes, comme Monet à chaque heure du jour l’expérimentait en observant la façade de la cathédrale de Rouen.Les maisons de papier, à la fois volumes et cages, seront les sièges qui piègent les logorrhées visuelles et sonores du téléviseur: ce principe suffit à valider à la fois ce glissement complexe papier/peau/ piège, et le glissement de l’aspect cicatrisant et apaisant de l’acte chirurgical (cou≠dre la peau/papier) à l’acte de construire/créer.Avec Bâtir, (18 cal≠ques imprimés et cousus) l’image fragmentée d’un mobile home dépersonnalisé se décline comme un négatif ou une radiographie en transparence, dont la lecture se complique avec l’intensité ambiante de la lumière.L’œu≠vre figée et quadrillée, construite comme l’“azbouka”, ce jeu slave pour enfant fait de cubes imprimés (et qui offre autant de possibilités de construire des images que de faces sur le volume), semble davantage flotter sur une lumière d’adulaire qu’elle ne serait accrochée à sa cimaise, échap≠pant ainsi à l’unicité et l’uniformité de sa position apparente.

Maison/TV, 1998

L’image privée et l’image publique

Une sculpture, une image vêtue de lumière

La maison, rétine vestimentaire d’un globe oculaire

Une lumière épaisse privée de son simulacre et iconoclaste à elle-même

Dans Maison/TV, des maquettes de papier-calque sont greffées sur les écrans de téléviseurs allumés, sur lesquels sont retransmises des émissions TV et les images d’une caméra de surveillance.Véritables niches transparentes, elles confondent images absentes et son, lumières présentes d’une caméra de surveillance (image privée) et program≠mes télévisuels (image publique).Le son et la lumière s’incorporent dans une même matière perceptible, quand les surfaces dermiques des maquettes annexent le corps de l’image tout entier.La maison de papier fonctionne ainsi que la rétine vestimentaire d’un globe oculaire, sur lequel font taches les pupilles noires du dos des téléviseurs.Mais ici la lumière du monde n’arrive pas de l’extérieur mais bien de l’intérieur, conduite par le nerf cathodique du téléviseur.La maison transparente se laisse pénétrer de lumière (celle du téléviseur allumé) mais nous la donne aussi à voir, opaque, elle la retient dans sa matité et colore les surfaces de son enveloppe comme des pierres de lune.L’image se retient illisible, véritable énigme derrière un rideau d’écran papier, sous la mince paroi d’un seuil à multiples facettes qui pousse à la curiosité: aller voir sous le papier de quelles images il s’agit (ou quelles sont ces images qui s’agitent et qu’on ne peut voir?).

L’image animée en tant qu’effets visuels se scinde de sa matière originelle de lumière et effectue le passage de la deuxième dimension (l’écran) à sa troisième (le volume), de même que la feuille de papier-calque opère par le principe du cousu/collé sa métamorphose tridimensionnelle en prenant la forme des maisons 9.C’est précisément ici dans ces construction infra-minces, dans ce lieu d’incarnation, que l’image trouve le creux où enfermer ses lumières.Quand Claire Roudenko-Bertin travaille sur la pré-image ou image “icogène”, Bernard Calet expérimente la “post-image”, la lumière 3D et moulée, une lumière épaisse privée de son simulacre représenté et iconoclaste à elle-même.

Le son, la lumière: des forces en flux à la recherche d’un corps solide

Qui ne conserve de cette image que sa part de lumière

L’image sans visage pérennise le temps

Le téléviseur allumé dans la maison solitaire c’est la pénétra≠tion d’un monde illusoire qui rassure.La Maison/TV est l’ins≠trument captif qui déconditionne ce leurre.Quand la peau est le vêtement du corps et le corps le vêtement de l’âme, la lumière prise dans ces écorces de papier sera l’âme/armature de la sculpture, la lumière de l’iconoscope sans laquelle l’œuvre ne serait plus.Des variations éclairantes, des spectres spasmodiques de couleurs s’agitent tels des mirages dans des déserts de papier.Mais qu’importe l’image? qu’importe le son ou l’émission captée? qu’importe même mon image renvoyée par la caméra de surveillance pourvu que ne siège pas ici l’abîme du silence.Ces lumières éclatées qui vacillent, ces sons déconnectés du support de l’image attestent d’une réalité, elles s’enchâssent dans le téléviseur et se déplacent dans une bulle de papier, comme une force vivante et en flux à la recherche d’un corps solide.Ainsi se propagent le son et la lumière, les perceptions d’un composite éthéré, et qui se reflètent, et qui se répètent dans le volume des maisons et dans la salle d’exposition.C’est une réalité qui s’entend et qui s’impose effectivement, mais c’est une réalité invérifiable par l’image.Quand Nam June Paik en 1963 travaille sur la distorsion de l’image vidéo, il opte encore pour l’image, et si l’image est quasi illisible elle est cependant encore là, et elle est encore maîtrisée.Bernard Calet n’aspire pas à faire un travail plastique sur l’image animée, il ne conserve de l’image, de ce témoignage du réel que sa part de lumière, comme si ces images qui se succèdent devaient être anecdotiques, mensongères ou falsifiées.Elles ne seront donc pas en mesure de l’interroger, de l’intriguer ou même de l’apaiser.Seule cette lumière qui porte l’image absente à son œil, et qui en mouvement s’active et palpite, suffirait à démontrer sa double nature vérifiable d’image sans visage et de lumière pérenne sur le temps.

La maison de papier, véritable machine à broyer les images

Geste iconoclaste ou alchimie de lumière?

Quand la lumière prime sur l’image

Images des chaînes de TV, images de la caméra de surveillance, toutes captées dans un même mélangeur, dans un même broyeur d’images dont il ne résultera que des rayons privés d’alignements ordonnés.C’est dans ce laboratoire de papier en forme de maison que se concentre et se condense le stripage des nucléons affolés.De l’image il ne reste que sa part de diffus et d’inachevé, semblable à des noyaux primitifs homogènes mais dépourvus de forme.Le dispositif arrache le masque de l’image aux lumières et dévoile son visage éclairant, mais sans en soustraire le fard de ses couleurs, ni ses rictus frémissants, ni même les sons qui l’accompagnent: geste iconoclaste ou alchimie de lumière?La machine dichotomique est en marche et ses lumières vivifiantes se détachent de l’image restée saisie à la surface de l’écran TV, tel un vernis réfléchissant qui se soulève sur la peinture de l’iconostase.

Sur le simulacre de l’image

Le spectateur, un corps qui renvoie des lumières

L’image “prémentale” et l’image “postnatale”

La chevelure de l’icône/astéroïde

La salle d’exposition pour le spectateur, un immense réservoir optique

Les échos d’icônes disparues

Quand Allan MacCollum avec sa série intitulée Perpetual photographies (1984-1989) réalise un cliché du grain lumineux d’un écran TV, et le restitue, mais cette fois-ci agrandi en tirage sur papier, il fait basculer l’infiniment petit sur l’infiniment grand, et les points lumineux qui scintillent sur l’écran TV se figent sur l’image d’un ciel étoilé.C’est dans cette mise en abîme du représenté et du photographié qu’il génère un corollaire sur le simulacre de l’image. À l’inverse de ce processus, les images TV prises dans les maisons de papier de Bernard Calet perdent leur statut originel (le représenté); elles sont renvoyées en écho perpétuel dans le simulacre de la lumière.C’est la chevelure de l’icône/asté≠roïde qui consume ses images 25 fois par seconde, ou autant de fois que d’heures dans la journée.Comme dans certaines re≠cher≠ches de l’Op art, la négation de l’image en tant que planéité, et ses effets optiques, physiologiques et psychologiques agissent sur le regard.Si dans ces lueurs d’iconosco≠pe persistent des images, ce seront des images anarchi≠ques et pulsionnelles, et qui auront quitté le cadre TV, sa grille conventionnelle domestiquée et codifiée.S’il y a images, c’est une “image prémentale” (celle qui précède la perception) et c’est encore une “image post-natale” (celle qui succède au reflet).

Le spectateur de ces moires, faisant abstraction de la caméra de surveillance, semble oublier que sa propre image est aussi en cause et à l’origine de ces effets, et qu’en somme il n’existe aux yeux du monde que parce que son corps renvoie des lumières.Il avance étonné et un peu inquiet dans un paysage captieux et capiteux, mais pourtant bien réel, dont l’espace est repeint au rythme des spasmes lumineux qui s’enchaînent. Eos, la déesse de l’aurore dans la mythologie grecque, se laisse conduire sur un char par deux chevaux de lumière, Phaeton”brillant” et Lampos “éclatant”.Avec les Maison/TV la salle d’exposition devient un immense réservoir de lumières, qui nous absorbe et nous entraîne aux rythmes des impulsions kaléidoscopiques des tubes cathodiques.Elles pulsent les trots et les cadences d’icônes d’un présent disparu.

Frédéric Bouglé

1- Ce phénomène est visible chaque année le 21 juin entre 15 heures et 15h20.L’intensité de l’événement dépend de la clarté du ciel.

2- «Il faudrait en venir à mettre le soleil derrière la toile.Le Tableau doit posséder un pouvoir de génération lumineuse», Matisse, Écrits et propos sur l’art.

3- Moholy-Nagy au terme de photographe proposait celui de “metteur en lumière”.

4- Dreamachine: machine à caractère cinétique et kaléidoscopique, conçue et réalisée par Brion Gysin à la suite d’une vision survenue en 1958.Mise au point en 1960 par le mathématicien Ian Sommerville la Dreamachine est ainsi décrite par Burroughs: «Elle est constituée par un cylindre ajouré qui tourne autour d’une lumière de manière à produire un clignotement stroboscopique sur les paupières fermées du spectateur.Le “clignotement” par un nombre déterminé de pulsions à la seconde, produit des changements radicaux dans les rythmes alpha ou rythmes de perception du cerveau.Le sujet voit des lumières fulgurantes d’un éclat et d’une couleur surnaturels… ». Gérard-Georges Lemaire, Burroughs , Artefact, 1986.

5- The Soft Machine: Mise en évidence d’un univers répétitif où se retrouvent toutes les matières de tous les peintres du monde… abolition totale de la toile, de l’œuvre d’art en tant que telle, la confrontation directe avec son propre monde cérébral qui s’exprime à travers des formes illimitées. Gérard-Georges Lemaire, Burroughs, Artefact, 1986.

6- David Hefferman, entretien avec Nigel Rilfe, 1996, catalogue Musée d’art moderne de la Ville de Paris.

7- «Il convient de réfléchir sur l’étrange manière qu’a ici Roussel d’isoler “la lumière” des autres phénomènes du monde où il se meut.Les 64 pages de “La vue” sont peut-être organisées selon un désir unique: faire surgir la lumière comme nécessité, la montrer comme efficacité absolue.Comme souveraineté.Au moment où la lumière qui éclaire le verre s’affaiblit, au moment de son abolition relative, elle révèle sa discrète toute-puissance.Pour manifester son prestige, elle doit provisoirement séteindre.Elle n’est vraiment reconnue qu’au cours de son effacement momentané».Gilbert Lascault, «Raymond Roussel», L’ARC, 1990.

8- «Ce qui est sacré pour lui, ce n’est que l’illusion, mais ce qui est profane, c’est la vérité.Mieux, le sacré grandit à ses yeux à mesure que décroît la vérité et que l’illusion croît, si bien que le comble de l’illusion est aussi pour lui le comble du sacré», Feuerbach.

9- Rudolf Arnheim dans Le cinéma est un art (Paris, L’Arche, 1989, p.23) constate que «l’effet que donne le cinéma n’est ni totalement bidimensionnel, ni totalement tridimensionnel, c’est un effet intermédiaire.Les images cinématographiques sont en même temps planes et volumétriques».




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