Présentation     Artistes & Collectifs     événements & Expositions     Pédagogie & Communication     Boutique     Liens  
Frédéric HERBIN

démonstration de l’échec de la peinture : john Lalor


John Lalor aime à le répéter, « la peinture est morte ». Pour autant, il ne finit pas de la mettre en scène. A travers les democratic paintings series, démarrées entre 1997 et 1998, il nous met face à une véritable « autopsie » de la peinture, de son économie, mais surtout de son échec. En répétant, sans qu’il y ait véritablement de fin, la représentation d’un même sujet sur plusieurs années, il donne une incontestable leçon de peinture et met à jour tous les mécanismes qui sous-tendent sa pratique.

Les quatre séries qu’il présente au Volapük, nous montrent d’emblée l’ambiguïté de l’entreprise de John Lalor. La série n° 3, intitulée father, nous révèle en effet le caractère obsédant des images et la manière dont celles-ci se chargent d’éléments affectifs, puisque c’est ici le portrait du père de l’artiste qui est multiplié. Il en va de même avec les séries n° 7 et n° 9, respectivement nommées citron et social housing, qui nous donnent à voir un motif extrait d’un tableau de Manet (Musée d’Orsay) cher à l’artiste, et la maison qu’habitent les parents de sa compagne.
Cependant, l’aspect affectif et sentimental qui accompagne ces images est rapidement mis à mal par le système sériel sur lequel se fonde le travail de John Lalor. Partant d’un modèle, souvent une image mécanique telle que la photographie, l’artiste reproduit inlassablement le même motif sur la toile. Dans cette démarche, si en effet le sujet figuré laisse apparaître le caractère obnubilant qu’il revêt pour l’artiste, il tend aussi à se dissoudre dans sa répétition et sa mise en scène.
Exposer plusieurs dizaines de fois le même objet représenté amène obligatoirement, dans un premier temps, le spectateur à se poser la question de l’unicité de l’œuvre et de la production en série d’une image. La façon dont l’artiste accroche ses toiles joue également de cette impression. La série father est toujours présentée comme un bandeau sur le mur, chaque cadre venant presque se coller au précédent. De la sorte, le spectateur n’est jamais face à une seule image, mais toujours confronté à deux ou trois représentation du même sujet. Avec la série n° 2, intitulée théorème du triangle équilatéral, Lalor va beaucoup plus loin puisque cette fois les toiles sont présentées par groupes de trois, au sein desquels l’une est basculée à 90° et une autre à 180°. Finalement, avec cette série on en vient à se demander si le sujet peint présente la moindre importance pour John Lalor, le titre faisant même oublier ici qu’il s’agit à l’origine d’un motif de slip extrait d’une photographie collectée sur internet par l’artiste Thomas Ruff. Au Volapük, cette collusion entre l’indifférenciation des œuvres et leur présentation entre dans une nouvelle dimension. Exposée pour la première fois, la série social housing fait l’objet d’une mise en espace particulière grâce à l’introduction de socles/piliers sur les faces desquels les toiles sont accrochées. Le spectateur se retrouve donc physiquement au centre du dispositif, comme plongé dans une forêt d’images, cerné par la reproduction apparemment toujours identique de la même représentation.
En fait, il faut faire l’effort de s’approcher de chaque tableau et de le comparer avec ceux qui l’entourent pour comprendre quels sont les véritables enjeux du travail de John Lalor. Il faut prendre le temps de vérifier que si chaque toile semble être recouverte du même motif ce n’est en réalité jamais le cas, et que ce que donne à voir John Lalor est une véritable démonstration de l’échec de la peinture. Une peinture qui se montre incapable d’atteindre l’essence d’un sujet. Ainsi, la pratique de John Lalor, malgré le fait qu’elle se fonde sur la répétition d’un même motif, s’avère inapte à épuiser un sujet. La mise en place de gestes presque mécaniques et la connaissance parfaite d’un objet, qui caractérisent la réalisation de séries s’étalant sur plusieurs années ne suffisent pas à supprimer cette distance indépassable qui sépare un peintre de son sujet.
Finalement, derrière cette apparente répétition monotone, c’est toujours l’artiste que l’on perçoit. En conséquence, si le travail de John Lalor peut apparaître désincarné, on ne doit pas oublier qu’il n’hésite pas non plus à réintroduire l’humain dans son travail en demandant, pendant chacune de ses expositions, à un de ses pairs d’élire une toile dans les séries father et théorème du triangle équilatéral pour qu’elle soit agrandie, ou au curator d’intervenir dans le choix de la teinte de jaune qui sert de fond à la série citron. Aussi, après Daniel Buren à la Glassbox en 2003, cette fois c’est Édouard Levé qui va distinguer une toile à l’intérieur de ces séries : encore une façon de jouer avec le caractère unique et artistique de chaque tableau, malgré le système sériel auquel il appartient, grâce à la validation d’un second artiste.



Haut de page
ici