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Œuvre individuelle pour Groupe Laura

TÉNÈBRES VISIBLES 2007

expositions d'Éric Foucault

Invité par Mixar et Images du Pôle, Éric Foucault présente deux expositions à Orléans, du 10 novembre au 1er décembre 2007

Fouilles préventives à Images du Pôle (24 rue de Limare)

Ténèbres visibles au Bol (108 rue Bourgogne)

ouvertures pour les deux lieux : du mercredi au vendredi de 17h à 19h et le samedi de 15h à 19h.

Samedi 10 novembre : conférence La Nature fait si bien les choses, l'usage de l'espace public à des fins intimes, privées, domestiques à 16h30 à Images du Pôle
suivi du vernissage de l'exposition au Bol


Renseignements :
pour Images du Pôle : 02 38 53 57 47 / centsoleils@imagesdupole.org

pour Le Bol : contact@Mixar.fr

  • Photographies : Marc Domage
  • vidéo de l'exposition (LE MUR DANS LE MIROIR) =

http://www.lemurdanslemiroir.fr/ericfoucault.php


Représenter la marge
Par Frédéric Herbin

Pour sa double exposition à Orléans, Éric Foucault continue son travail de révélation des espaces en marge. En s’intéressant aux lieux de la prostitution et de la drogue ou aux endroits qui accueillent les sans abris et la drague homosexuelle, il pose en effet son regard sur des espaces périphériques, hors de toute réglementation et provisoires. Depuis plusieurs années déjà, il a entrepris de matérialiser par l’image l’existence de ces territoires mouvants tout en entamant une réflexion riche sur les moyens de cette représentation.
Invisibles pour la majorité de la population, ces espaces n’intéressent que les gens qui les fréquentent. Ils sont littéralement dans le hors champ de l’image véhiculée par notre société, juste à côté de cet espace policé, réglé et urbanisé dans lequel nous vivons. Les autorités, qu’elles soient politiques, policières ou intellectuelles ne se préoccupent de ces territoires que dans l’optique d’un potentiel risque pour la sécurité, pour la santé ou même pour l’image de notre société. C’est dans cette absence de considération qu’interviennent les œuvres d’Éric Foucault. Elles créent une représentation là où il n’en existe pas ou alors seulement sur un registre univoque et péjoratif.
Les deux expositions proposées à Orléans permettent de voir plusieurs aspects de cette construction de la représentation. Images du Pôle accueille notamment Fouilles préventives, une œuvre qui, empruntant aux techniques de l’archéologie, entreprend de rendre compte de l’existence d’un ancien « lieu de drague homosexuelle ». Une vidéo documente les fouilles réelles effectuées par l’artiste, et les « résidus » collectés sont présentés dans des vitrines, comme on le ferait dans un musée. Montrés ensemble, ils constituent les éléments d’une prise en compte de ce lieu de drague qui peut sembler exagérée. Effectivement, en ayant recours aux techniques de l’archéologie, mais aussi de la sociologie avec son livre la nuit, tous les routiers sont gris, Éric Foucault change complètement le registre sur lequel sont habituellement appréhendés ces espaces. A travers le détournement de méthodes et conventions scientifiques il joue sur le caractère valorisant des domaines du savoir afin de construire une nouvelle image de ces espaces disqualifiés. Ainsi, si l’artiste crée des images, leur intérêt réside avant tout dans la façon dont elles sont réalisées et montrées.
En conséquence, on comprend clairement comment les dispositifs mis en place ici questionnent la construction de la représentation : montrer, par exemple, les objets ramassés pendant les fouilles dans des vitrines change complètement la façon dont ceux-ci sont perçus, alors qu’il ne s’agit que d’un artifice de présentation. De la même façon, les spectateurs pourront assister, le jour du vernissage, à la performance La Nature fait si bien les choses : l’usage de l’espace public à des fins intimes, privées, domestiques qui, en reprenant la forme d’une conférence et en mêlant références historiques, sociologiques et artistiques, participe également à cette entreprise de réévaluation des lieux de drague homosexuelle en jouant sur les modes de présentation.

La seconde exposition au Bol, privilégiant de nouvelles créations, poursuit les mêmes questionnements. La fréquentation régulière de ces territoires particuliers a amené l’artiste à constater le rôle prépondérant de l’éclairage public dans leur constitution. Ainsi, s’ils existent en marge de notre société, c’est aussi parce qu’ils prennent place dans l’ombre et préfèrent aux espaces illuminés l’anonymat que procure la nuit. Cette constante observée par Éric Foucault est devenue un sujet central de son travail sur ces territoires immatériels et leur représentation. L’éclairage public envisagé comme simple délimiteur d’espace qui crée de nouveaux territoires en négatif, devient en même temps pour l’artiste le symptôme d’un urbanisme qui réglemente et repousse dans l’ombre les comportements qui ne peuvent avoir lieu en pleine lumière. Le caractère panoptique qu’il revêt en fait donc un élément incontournable de la structuration de l’espace social et en tant que tel de tout travail cherchant à en révéler les enjeux.
Mais de nouveau, se pose le problème de la représentation : comment donner corps à des éléments aussi impalpables que l’ombre et la lumière ? A cette question récurrente dans l’histoire de l’art, Éric Foucault apporte ses propres réponses. L’exposition, plongée dans la pénombre accueille trois installations pour lesquelles la représentation – ou la non représentation – advient par la lumière.
Poursuivant un travail de cartographie des espaces amorcé il y a plusieurs années, l’artiste présente La Nuit vue du ciel. Récoltées sur Internet, ces vues nocturnes prises du ciel sont soumises à un véritable travail d’abstraction pour ne laisser apparaître que les sources lumineuses et la façon dont celles-ci dessinent des lieux à l’existence éphémère. Le reste n’est qu’ombre, manifestée ici par le noir. Les marges alors constituées prennent une place insoupçonnée, toujours plus large que celle de la lumière. A tel point que l’on peut se demander si les marges ne sont pas plus importantes que le centre, noyé dans cette étendue sombre. Ces images, apposées sur des caissons lumineux génèrent en même temps leur propre éclairage et donc de nouveaux espaces à l’intérieur de l’exposition. Là, réside un des principaux enjeux de cette seconde monstration : pas seulement nous donner à voir, mais également nous faire expérimenter cette distinction entre espaces éclairés et espaces dans l’ombre.
Mais ce qui frappe également à la vue des œuvres de cette exposition c’est le rapport à l’image cinématographique. Elle aussi produit sa propre lumière, définit l’espace de sa projection et s’intéresse à ce qui se passe hors champ. Il ne fait aucun doute que la réflexion que l’artiste a enclenchée sur le problème de la représentation se révèle, au fil des évolutions de son travail, un matériau de plus en plus dense et complexe. Rétrovion II et Carré noir, les deux autres installations présentées, appellent d’autant plus ce parallèle avec le cinéma qu’elles utilisent la vidéo. La première, projette sur un mur partiellement recouvert d’adhésif argenté, l’image d’une ampoule qui se balance. L’ampoule balaye le mur de gauche à droite et par intermittence se reflète dans l’adhésif. Dans cette proposition, l’ampoule est à la fois image, mais également source lumineuse, car elle seule permet de dévoiler ce que dessinent les morceaux d’adhésifs : les fenêtres éclairées d’un paysage urbain nocturne. De cette façon, c’est ici par l’intermédiaire d’une vidéo projetée qu’apparaît une seconde image, voire même une troisième puisque les adhésifs reflètent la lumière alentour. Le spectateur se trouve donc face à une suite d’images qui partagent le même moteur : la lumière d’une ampoule plus ou moins médiatisée, créatrice d’espace et de représentations.
A l’inverse de cette profusion, Carré noir propose de réduire l’importance du visuel. L’écran de télévision sur lequel la vidéo est retransmise, est presque entièrement obturé par un adhésif noir à l’exception d’un interstice de trois millimètres à sa périphérie. Cette fois l’image n’advient pas, seuls le son et l’intensité lumineuse filtrent pour rendre compte d’une déambulation nocturne effectuée par l’artiste. Telle une fin de parcours, l’installation ne permet plus de percevoir que les bribes d’une expérience complète. Le noir a remplacé l’image et la lumière n’éclaire presque plus rien, si bien que l’on pourrait se penser dans cette marge qui intéresse tant l’artiste. En revanche, loin d’être toujours en périphérie d’un centre par rapport auquel il faudrait la définir, la marge est entièrement au centre de la représentation construite par Éric Foucault.


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